Journal d'aventure d'Émile David : le tournage du film de pêche à la mouche - Au-delà des aulnaies

Installé au Saguenay depuis quelques années pour "profiter des grands espaces", le réalisateur Émile David doit bien l’admettre : sans être un échec, son échéancier de reconnexion aux choses essentielles accuse un certain retard. Trois ans plus tard, il n’a toujours pas trouvé le temps de se dénicher un lac à brochet. Qu’à cela ne tienne, il connaît la recette pour ralentir le temps : un bon pain de misère généreusement beurré de bouette fraîche. Autrement dit, un week-end de canot-broussaille entre amis, à se perdre volontairement dans les criques, les lacs, les rivières et les étangs à castors d’un territoire encore inconnu.

À la suite d’un appel téléphonique avec l’illustre Louis-Henri Frigon, dont le contact lui a été soufflé par les forces invisibles de la destinée, Émile se laisse convaincre : ce sera la zec de la Rivière-aux-Rats. Résident à l’année et fin connaisseur des lieux, Louis-Henri lui offre non seulement un coup de main logistique, mais surtout les mots magiques : des lacs infestés de brochets et de la perdrix à en trébucher par terre.

"La vie c’est court mais c’est long des petits boutes", chantait Dédé Fortin. C’est avec ces paroles en tête qu’une équipe de canifs suisses s’enfonce sur le territoire de la zec de la Rivière-aux-Rats à la fin octobre. Le groupe est formé du canoteur et photographe Yan Kazcynski, de l’athlète d’expéditions extrêmes Arnaud Côté Boisvert, de l’aventurière Stéphanie Vadnais, ainsi que des cinéastes Émile Dontigny et Émile David.

Peu convaincu par leur plan général, Louis-Henri les dépose aux abords d’un chemin impraticable et leur souhaite bonne chance, avec un brin de dépit dans la voix. Ce n’est pas comme ça qu’il aurait fait les choses. Après un premier portage parmi les épinettes, les premiers coups de pagaie se donnent enfin sur le lac de la Trappe. Motivés à tester la théorie selon laquelle plus la talle d’aulnes à traverser est dense, plus gros sont les brochets et meilleures sont les aventures de l’autre bord, la brigade franchit un premier ruisseau serré avant d’aboutir sur le lac Tremblay.

Guidés par les sages paroles de leur fixer, qui leur avait dit que "sur le lac Tremblay, on y pogne que du téteux", l’équipe poursuit sa lancée vers le lac Mathieu. C’est là qu’on prévoit sortir les moucheuses, la présence de brochets ayant été confirmée par quelques lancers lors d’une mission de repérage estivale.

À mi-chemin, un premier dilemme surgit : une fourche. En parfaits cobayes galériens, le groupe choisit de se séparer... pour voir qui arrivera en premier. Une excellente idée de projet, qui leur coûtera tout de même quelques précieuses heures de pêche et de clarté.

Une fois enfin arrivés sur le lac Mathieu, l’équipe constate que le brochet est tranquille. Pas question pour autant de se laisser déstabiliser par cette première journée infructueuse. On s’installe sur une plage du lac de l’Écluse pour la nuit, en mijotant déjà un plan B.

— J’avais pas promis de poisson, j’avais dit qu’on allait voir.

— Moi j’avais quand même entendu “infesté de brochet” !

— C’est sûr… mais c’était pas mes mots à moi, ça.

— On verra demain, mais on n’a pas beaucoup de temps. J’pense qu’il va falloir appeler Étienne.

— Peut-être.

C’est sur ces paroles cryptiques et un peu scriptées par l’équipe de tournage que l’équipe s’abandonne à l’observation du feu crépitant.

S’étant levé sous l’averse, le groupe a choisi de donner une chance mal avisée au lac de l’Ours, avant d’entasser prestement les tentes mouillées et sablonneuses dans leurs sacs et de reprendre leur chemin vers le ruisseau de l’Écluse. C’est la dernière journée d’Arnaud sur l’expédition, et le temps presse pour enfin croiser un brochet.

C’est à ce moment précis que le duo formé d’Émile et Stéphanie réussit l’exploit de verser le canot dans une manœuvre sans éclat. Cette nouvelle cascade donne un tout autre ton à la journée. Deux conséquences s’imposent : il ne reste plus assez de temps pour pêcher la rivière aux Rats, et Arnaud, ayant offert son chandail à Émile, se retrouve en chest.

Tel que l’avait prédit Louis-Henri, le ruisseau de l’Écluse est pénible. Son lit chaotique, rempli de roches et de débris à contourner, ralentit considérablement l’avancée du groupe. Alors que la brunante approche, ils atteignent enfin la rivière aux Rats. Arrivés au véhicule d’Arnaud, laissé sur place en début d’aventure, le groupe se retrouve devant une nouvelle bifurcation, qui s’avérera décisive pour la suite.

Ce film vous entraîne dans une expédition sans filtre, sans promesse, mais portée par la soif d’inconnu, le dépassement de soi… et l’espoir de croiser un gros brochet. Tourné dans les replis sauvages du territoire québécois, Au-delà des aulnaies célèbre la misère choisie, la curiosité assumée et le plaisir de vivre l’aventure, peu importe les conditions.

Présenté devant plus de 900 personnes au Palais Montcalm, le film a remporté le Prix du jury du meilleur film au Festival PALM 2025. Aujourd’hui, on est fiers de le partager avec vous. Parce que préserver l’intégrité de nos territoires fauniques, c’est aussi cultiver cet esprit d’aventure, cette énergie précieuse qui nous pousse à explorer les replis du territoire et à aimer chaque étape du chemin, surtout les plus ardues.

Psst : le film a été réalisé à la Zec Rivière-aux-Rats, au Saguenay-Lac-Saint-Jean.